L'olivier.

Publié le par volgur

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Il est là ! C’est bien lui !

Je m’en approche doucement. C’est stupide, c’est un arbre. Je ne risque pas de lui faire peur, et lui de s’enfuir en courant.

Non, je crois plutôt que j’ai peur que ce ne soit qu’un mirage, et qu’il s’évanouisse à jamais, comme la plupart de mes souvenirs d’enfance.

Je suis suffisamment proche pour le toucher maintenant, mais je n’ose toujours pas. Je n’arrive pas à me convaincre de la réalité de ce que je vois.

La dernière fois que j’ai vu cet olivier, je devais avoir quoi ? Cinq, six ans ?

En tout cas, ce que je sais, c’est que j’étais heureux.

Délicatement, de peur d’en effaroucher ma mémoire, ma main effleure le tronc rugueux. Une brise fait bruisser les feuilles. Un murmure, un chuchotement à travers les années.

Me reconnaît-il lui aussi ?

Je m’agenouille devant l’arbre.

Je garde la position du pénitent un petit moment. Je n’avais pas prévu que les choses se passeraient ainsi. En fait, je n’avais rien prévu du tout.

J’en profite pour lui rendre grâce. Après tout, c’est un survivant lui aussi. Les immeubles ont poussé plus vite que lui. Mais lui a été épargné par l’ambition industrieuse de l’humain.

Mes doigts se plantent dans le sol, à ses pieds. Au début, c’est difficile. La terre est sèche. Sèche comme le cœur de mon père.

A cette pensée, la rage me gagne subitement.

C’est soudain plus facile de creuser. Presque trop.

Quelque chose de plus dur que le reste m’arrête.

J’y suis.

Je sors du sol une boîte métallique Lu. Quand elle était neuve, il y avait des petits beurres dedans.

La rouille a soudé le couvercle, alors j’ai un peu de mal à l’ouvrir. Après avoir bataillé plusieurs minutes au pied de l’olivier. Un « pop » retentit, et le couvercle finit par céder.

Moi aussi.

Je pleure, et dans mes sanglots je serre le tronc de cet arbre, comme s’il était maintenant devenu la chose la plus solide de mon univers.

A la main, je tiens une photo. Un polaroid, un cliché vieux de plus de 35 ans.

35 années passées dans une boite en fer, enterrée au pied d’un olivier.

A l’abri de l’outrage du temps.

Le jeune couple qui y est dessus semble très heureux, en tenant fièrement leur bébé.

Cela a existé un jour, éclat éphémère d’un bonheur trop vite fané.

Mais cela à été vrai au moins le temps d’une photo.

Je remets la photo dans la boite. Et la boite sous terre, au même endroit.

Je m’en vais, mais avant, je prends une pousse, au pied de l’olivier.

 

Quelques temps plus tard, je suis repassé devant cet arbre auquel j’avais confié mon passé, mon bonheur.

A sa place, il y avait un trou. Un camion toupie allait y déverser son chargement de ciment.

 

Salut mon pote. Et merci.

Le cœur lourd, je maudis cette réalité dévastatrice qui ne respecte plus rien.

Je regarde le jeune olivier que j’ai mis en pot. Il a tout l’avenir devant lui.

Je lui souris.

Et le vent par la fenêtre de la voiture fait bruisser ses feuilles…

Publié dans Divers

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D
C'est tellement beau et vrai. Si la nature destructrice de l'homme a, semble-t-il, détruit une partie de notre enfance, il reste les souvenirs qui l'animent et la font vivre encore. J'adore votre<br /> style d'écriture.
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V
<br /> <br /> Merci beaucoup pour votre gentil commentaire.<br /> <br /> <br /> Les souvenirs quand il nous échappent sont plus fuyants qu'un courant d'air. Mais quand on les tient on est soit décu soit surpris.<br /> <br /> <br /> <br />
E
Beau texte, encore une fois, Darklulu. Temps qui passe, perte du "vert"... De quoi avoir le coeur lourd, oui.
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V
<br /> <br /> Merci Euonimus, je m'essaye à d'autres styles<br /> <br /> <br /> <br />